Pour (Proposition de la majorité (Annahme der geänderten Motion)) | 110 |
Contre (Proposition de la minorité Funiciello und des Bundesrates (Rejete la motion)) | 71 |
Abstension | 12 |
Excusé / Non votant / Président | 7 |
Le huitième train de sanctions de l’UE à l’encontre de la Russie, que la Suisse a repris par voie d’ordonnance, prévoit l’interdiction de fournir des services de conseil juridique aux personnes et entreprises sanctionnées. Toute violation de cette interdiction est notamment passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an. Or, non seulement les dispositions concernées de ladite ordonnance ne reposent sur aucune base légale, mais elles contreviennent à l’art. 1 du code pénal et donc aux droits constitutionnels des intéressés.
Le Conseil fédéral fait valoir que la deuxième ordonnance sur l’Ukraine s’appuie principalement sur la loi sur les embargos (LEmb). Dans le cadre de cette ordonnance, le Conseil fédéral décide cas par cas si la Suisse reprend entièrement, partiellement ou ne reprend pas du tout les sanctions adoptées par l’UE. Or, la LEmb ne permet pas à la Suisse de prendre des sanctions de manière autonome : elle l’autorise uniquement à édicter des mesures de coercition pour appliquer les sanctions prises par d’autres, notamment l’ONU, l’UE, l’OSCE, mais aussi par ses principaux partenaires commerciaux.
On peut se demander dans quelle mesure la simple reprise de sanctions décidées par d’autres sujets de droit international public peut être considérée comme une application de ces sanctions, qui justement ne sont pas appliquées, mais simplement reprises. En tout cas, le caractère vague de la base légale concernée, et plus particulièrement de la référence aux « principaux partenaires commerciaux de la Suisse », est indéfendable. Il n’est absolument pas dit qui sont ces partenaires et qui n’en fait pas partie, ce qui laisse également ouverte la question de savoir quelles sont les sanctions à appliquer au moyen de mesures de coercition. On peut également se demander dans quelle mesure restreindre le droit d’être entendu – car c’est à cela que revient l’interdiction de fournir des services de conseil juridique – peut servir à faire respecter les droits de l’homme, alors qu’aux termes de l’art. 1 LEmb, il s’agit là d’un préalable indispensable à la prise de mesures de coercition. Quoi qu’il en soit, il est pour le moins singulier de s’en prendre aux droits de l’homme pour faire respecter ces mêmes droits de l’homme.
Cela dit, même si l’on s’accommodait de ce flou, il n’en subsisterait pas moins un grave problème du point de vue des droits fondamentaux. Comme il a été dit plus haut, il est incontestable que le conseil juridique est lié au droit fondamental d’être entendu, et il est tout aussi incontestable que toute restriction d’un droit fondamental doit se fonder sur une base légale. Cette base ne peut pas être la LEmb. L’art. 1 LEmb dispose certes que la Confédération « peut édicter des mesures de coercition pour appliquer des sanctions », les « mesures de coercition pouvant notamment prendre la forme d’interdictions ou d’obligations de demander une autorisation ou de déclarer, ou d’autres limitations de droits », mais cela ne saurait manifestement concerner les droits fondamentaux. De fait, comment pourrait-on conférer à l’exécutif la compétence de restreindre un droit fondamental constitutionnel sur la base d’une disposition elle-même particulièrement vague (voir notamment le passage « décrétées par les principaux partenaires commerciaux de la Suisse »), ou même carrément de le supprimer, puisqu’interdire, et non simplement restreindre, la fourniture de services de conseil juridique revient à supprimer un droit constitutionnel. Une telle procédure peut à l’extrême être indiquée dans une situation exceptionnelle justifiant d’édicter des dispositions de droit de nécessité, mais pas lorsqu’il s’agit simplement de mettre en œuvre une loi. Pour ce qui est des sanctions dont il est question ici, on ne saurait affirmer, du moins du point de vue de la Suisse, qu’elles relèvent d’un état de nécessité.
En tout état de cause, et quelle que soit l’issue de la discussion sur le point de savoir si la norme de compétence est suffisamment précise ou non, il est d’évidence exclu de se fonder sur cette norme pour édicter des dispositions pénales. Il n’est certes pas rare d’entendre défendre l’idée qu’une compétence réglementaire comprend également la compétence d’édicter des dispositions pénales, mais cette opinion ne tient pas, parce qu’elle est contraire au principe « nulla poena sine lege », qui signifie qu’il ne peut y avoir de peine qui n’ait été prévue par une loi et qui est affirmé à l’art. 1 du code pénal, lui-même disposition de rang constitutionnel. Une norme pénale s’adresse à des justiciables qui doivent être en mesure de s’y conformer, ce qui suppose qu’elle soit suffisamment précise, et les exigences qui s’y attachent doivent figurer à l’échelon de la loi. Une simple ordonnance ne saurait en effet suffire, d’abord parce qu’elle est dépourvue de légitimité démocratique, ensuite parce qu’elle peut être modifiée trop facilement.
Le principe de précision du droit pénal, je le répète, est un droit constitutionnel, et il exige à ce titre l’adoption d’une loi, notamment pour des raisons de temps. Il ne peut y avoir d’accusation pénale qu’après l’entrée en vigueur de la disposition pénale concernée, et le principe de non-rétroactivité s’applique. Les justiciables doivent avoir la possibilité de savoir ce qu’ils ont le droit de faire et ce qu’ils ne peuvent pas faire, et il serait injuste de reprocher à quelqu’un de faire ceci ou cela s’il ne peut savoir avec certitude ce qui est interdit. Si, comme en l’espèce, l’ordonnance est constamment modifiée – la deuxième ordonnance Ukraine est tout de même modifiée en moyenne trois fois par mois –, alors le principe de précision consubstantiel à l’état de droit est remplacé par une obligation pour le justiciable de s’informer en permanence, ce qui en est précisément le contraire. Si l’on considère en outre que les différentes modifications entrent en vigueur à des moments spécifiques de la journée, on voit bien qu’on est face à une véritable inversion du principe de précision.
Interdire de fournir des services de conseil juridique est extrêmement problématique sous l’angle de l’état de droit, car cela porte atteinte au droit d’être entendu et revient à limiter un droit fondamental : ce n’est donc en rien comparable à des restrictions mises en place dans les domaines de l’audit, de la comptabilité ou du conseil fiscal. Il est évident qu’une telle atteinte à un droit fondamental doit au moins se fonder sur une base légale, et qu’une ordonnance ne suffit pas.
Autre problème : la délimitation peu claire entre conseil juridique et représentation juridique, le conseil juridique étant généralement fourni en vue d’une représentation juridique. Une action en justice étant coûteuse en argent et en temps pour toutes les parties concernées, le conseil juridique vise précisément à éviter une telle action. L’accès à la justice suisse devrait être garanti dans tous les cas, qu’une procédure soit en cours ou non, et ne doit pas être confondu avec l’accès au droit de procédure. Or, l’art. 28e, al. 2bis, let. a et b, de la deuxième ordonnance sur l’Ukraine semble justement prévoir des exceptions pour ces cas-là, et un conseil juridique visant à éviter une procédure ne serait donc pas autorisé. D’autre part, la possibilité de fournir un conseil en vue de l’ouverture d’une procédure future semble elle aussi compromise, si l’on considère le libellé de l’art. 28e de la deuxième ordonnance Ukraine. Or, il semble pour le moins incohérent d’interdire des services de conseil juridique destinés à éviter ou à préparer une procédure judiciaire et de ne les autoriser qu’une fois que la procédure a été engagée.
Le conseil juridique fait partie du droit fondamental d’être entendu, et est impossible de faire une distinction pertinente entre conseil juridique et représentation juridique dans une procédure. Ce distinguo est aussi flou que la base légale sur laquelle il repose. Si l’on considère que des peines considérables – jusqu’à un an d’emprisonnement – sont prévues en cas d’infraction, il apparaît que nous avons affaire ici à un cas chimiquement pur de violation de l’art. 1 CP et donc à un dispositif prévoyant des peines anticonstitutionnelles.
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Source : Services du Parlement de l'Assemblée fédérale, Berne
Dernière mise à jour des données le 07.05.2025 (23:47)